Les leaders parlent comme des collégiens !
Cet article est paru dans Les Echos, le 3 mai 2018.
Plus un leader s’exprime de façon complexe, plus son expertise est grande. Cette image demeure encore ancrée dans l’esprit de beaucoup d’orateurs… alors qu’elle est totalement fausse ! Au contraire, les plus grands leaders s’expriment (très) simplement.
Le jargon est un fléau bien connu des entreprises. Il tend même à prendre de l’ampleur avec l’utilisation croissante d’expressions venues de l’anglais dont le sens demeure parfois obscur. Les termes techniques et les mots-valises, tels que « manager » ou « agilité », brouillent également les messages partagés. Dès lors, pas si rare d’entendre en réunion des phrases comme : On va organiser un brainstorming en conf call pour checker avec le project manager les deadlines à venir…
Dans l’imaginaire collectif, une grande expertise et connaissance approfondie sur un sujet vont de pair avec une capacité à s’exprimer de façon complexe. Les mots compliqués, les longues phrases, les acronymes, voire les néologismes renverraient l’image d’un orateur érudit et maîtrisant parfaitement son sujet. Et peut-être en France plus qu’ailleurs, lors de discours ou de présentations, les réflexes de l’écrit prennent le dessus pour donner naissance à de longues phrases avec de multiples propositions et subordonnées. Or, en entreprise, la majorité des prises de parole doivent répondre à une exigence d’efficacité et de clarté. C’est la condition sine qua non pour appeler à l’action et favoriser la viralité des idées clés.
Pour simplifier la communication au sein de Tesla, le fondateur et PDG de l’entreprise, Elon Musk, a récemment envoyé mail demandant aux employés d’arrêter de s’exprimer avec des termes complexes : « De façon générale, toute chose qui requiert une explication entrave la communication. Nous ne voulons pas que les gens mémorisent un glossaire simplement pour travailler au sein de Tesla ». Cette simplicité caractérise aussi ses présentations publiques réalisées pour présenter de nouvelles innovations et produits.
Plus largement, les grands leaders savent que pour convaincre et partager un message susceptible d’être répété il faut utiliser un niveau de langage qui soit compréhensible par le plus grand nombre. Autrement dit, il faut faire simple, encore et toujours. Or, cette capacité de simplification est loin d’être aisée. Parlez simplement demande en effet beaucoup de travail et du courage, d’autant qu’il y a toujours, chez tous les dirigeants ou chez tous ceux qui veulent démontrer leur expertise, une peur de ne pas être pris au sérieux. Or, les travaux du psychologue et prix Nobel, Daniel Kahneman, démontrent le contraire. Certes les personnes les leaders maîtrisent la complexité de leur sujet et du langage afférent mais ils parviennent à le remplacer par un langage simple, concret, imagé.
Par ailleurs, dans leur ouvrage Ces idées qui collent, Dan et Chip Heath montrent que plus les propos utilisés pour décrire des phénomènes, des émotions ou des actions sont concrets et simples plus ils marqueront les esprits. Ce fut d’ailleurs le génie de Jean de La Fontaine pour dépeindre les vices et vertus de son temps, celui de Molière pour dénoncer, à l’aide de comédies, les travers de la société, celui de Martin Luther King pour partager son rêve d’égalité raciale (notamment le fameux discours I have a dream) ou celui de John Fitzgerald Kennedy qui en 1962 prononça un discours pour présenter sa politique spatiale. Au lieu de détailler les avancées scientifiques et technologiques qui seront nécessaires pour conquérir la Lune, il employa une phrase, très concrète, restée célèbre : « A la fin de la décennie, un homme aura marché sur la Lune ».
Dans le monde de l’entreprise, le maître en la matière reste Steve Jobs. Lors d’une récente expérimentation, Carmine Gallo (auteur du livre Les secrets de présentation de Steve Jobs) montre que le fondateur et ancien PDG d’Apple, utilisait, lors de ses présentations, un langage équivalent à celui d’un élève de CE2. Oui, de CE2 ! En effet, grâce à un logiciel, appelé Hemingway et utilisé par les professeurs pour mesurer la facilité de compréhension d’un texte, Carmine Gallo note que les sept premières minutes (soit les 1000 premiers mots) de la keynote de lancement de l’iPhone en 2007 correspond à un niveau de langue équivalent à celui du CE2, donc d’élèves âgés de 8 ans. L’auteur affirme que s’il s’agit d’un cas particulier, la plupart des leaders mobilisent un niveau de langage équivalent à celui d’un collégien.
Simplifier demande ainsi des heures de travail pour prendre du recul sur ses connaissances et réflexes langagiers, pour s’assurer d’être compris par tous et pour exprimer avec force des idées parfois complexes. Pourtant, cet effort à la portée de tous les leaders permet de délivrer des messages plus percutants et inspirants.