Trump, roi de la volte-face
Cet article est paru dans Les Echos, le 11 juin 2018.
Les paroles de Donald Trump n’en finissent plus de donner la migraine à ses homologues. Lors du dernier sommet du G7, quelques heures après avoir donné son aval pour ratifier l’accord final, le Président américain, d’un tweet assassin, l’a fait voler en éclat…
Donald Trump est un roi de la volte-face. Depuis qu’il s’est installé à la Maison-Blanche, le Président des Etats-Unis ne cesse de changer d’avis sur des sujets aussi sensibles que le port d’armes, l’aide apportée à l’entreprise chinoise ZTE (en grande difficulté), ou plus récemment, la tenue du sommet historique avec le leader nord-coréen Kim Jong-un. Sans aucun doute, la volte-face est devenue sa marque de fabrique. Et il y a quelques jours, alors qu’un accord multilatéral avait été obtenu dans le cadre du G7, Donald Trump, vexé et mécontent suite aux déclarations finales de Justin Trudeau, a annoncé le retrait du soutien des Etats-Unis.
Ces changements d’opinion donnent au moins deux enseignements sur le style Donald Trump. Tout d’abord, il déteste les négociations multilatérales et le principe du gagnant-gagnant. Selon sa conception de la politique (et des affaires), toute discussion doit tourner à l’avantage d’un des deux protagonistes engagés. Secondement, il souhaite toujours montrer qu’il maîtrise la situation et, très prosaïquement, qu’il est le plus fort. Changer d’avis, et ainsi briser des accords passés ou des paroles données, c’est avant tout une opportunité de garder le contrôle. Plus que la recherche d’une cohérence et d’une crédibilité sur la scène internationale, Donald Trump souhaite mener la danse avec ses homologues. Ces derniers sont condamnés à la prudence. Et force est de constater que pour l’instant, il applique toutes les réformes promises aux Américains, qu’importe les critiques, et reste un acteur indispensable dans toutes les prises de décision à l’échelle mondiale.
Mais si pour l’instant, les chefs d’Etat gardent leur calme et tentent, tant bien que mal, de s’accommoder à ce style Trump, difficile de voir où mènera cette attitude. C’est un jeu d’autant plus dangereux que ces changements d’opinion s’accompagnent (très) souvent d’attaques ad personam. Le Président américain ne s’attaque pas qu’aux arguments de ses interlocuteurs mais aussi à leurs personnes. Fidèle à l’un des 36 stratagèmes d’Arthur Schopenhauer, présentés dans son célèbre ouvrage L’art d’avoir toujours raison, il n’hésite pas à être insultant et impoli. A l’occasion de sa volte-face au G7, Donald Trump a ainsi déclaré à propos du président canadien, Justin Trudeau, qu’il était "très malhonnête et faible". Depuis des mois, ces propos moqueurs et insultants, qui ont l’avantage d’énerver l’adversaire, se comptent par centaines, lors de ses discours ou de ses messages postés sur Twitter. Mais selon le philosophe, il révèle aussi que l’orateur est à court d’arguments.
Cette capacité à dire tout et son contraire n’est pas une problématique nouvelle puisqu’elle fut étudiée par les sophistes dès le Vè siècle avant J.C., et notamment Protagoras d’Abdère. Ce dernier, professeur d’éloquence et théoricien de la parole politique, avance plusieurs thèses dont celle des « discours doubles » ou « discours contradictoires ». Celle-ci réfute le principe d’identité des choses qui dit qu’une chose n’est que ce qu’elle est. Autrement dit, elle s’oppose à l’idée selon laquelle un seul discours serait possible sur un fait ou une vérité donnée. Au contraire, Protagoras affirme qu’« à propos de toutes choses il y a deux discours opposés l’un à l’autre ». Chaque fait peut être interprété selon deux points de vue, contradictoires, mais tous deux valables. Il est aisé de reconnaître le style Trump dans cette définition… et également la naissance des fake news !
Dès lors, faut-il laisser le Président américain s’exprimer ainsi ? Nullement, puisque cette conception de la parole politique sera à l’origine du débat contradictoire et constitue le pilier de la démocratie où toutes les voix doivent cohabiter. Néanmoins, Protagoras a toujours prétendu enseigner la vertu en affirmant : « ce savoir [que j’enseigne], c’est la prudence dans les affaires privées – comment administrer au mieux la maison – et dans les affaires de la cité – comment être le plus apte à gérer les affaires de la cité en actes et en paroles ». Et là, il reste du chemin à parcourir pour Donald Trump… car pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait écoute réciproque !