Le talent inné de la prise de parole en public… n’existe pas !

Cet article est paru dans Les Echos, le 22 octobre 2018.

Lors de sa dernière allocution, Emmanuel Macron est apparu à l’écran avec des notes qui ont été largement commentées. Les feuilles étaient raturées et annotées. Elles montrent surtout une évidence trop souvent oubliées… tout orateur prépare ses interventions ! 

             

Les plus grands orateurs de l’histoire paraissent à l’aise et sur d’eux-mêmes lorsqu’ils prennent la parole en public. Tout semble naturel, voire inné. Ils auraient, quelque part dans leur ADN, le gêne de l’éloquence. C’est pourquoi, lors de sa dernière allocution, les fiches d’Emmanuel Macron, pleines d’annotations et de corrections, ont tant surpris. Nous ne sommes pas habitués à voir les coulisses d’une prise de parole en public. Nous oublions les heures passées à écrire, réécrire puis répéter les interventions. Et s’il semble naturel qu’un musicien ou qu’un sportif de haut niveau s’entraîne des années pour réussir sa prestation, il n’en est rien pour un orateur.

 

Répéter, répéter, répéter

Pourtant, l’évidence est là, plus un orateur passe de temps à préparer et répéter sa prise de parole dans les moindres détails, plus il sera bon le jour j. Autrement dit, être à l’aise lors d’une présentation d’entreprise, devant ses supérieurs par exemple, ou lors d’un discours face à une audience nombreuse ne relève pas du pur talent, c’est le fruit de l’expérience et de l’entraînement. Pour reprendre les mots de l’auteur à succès Malcom Gladwell : « On ne répète pas quand on est bon. C’est parce qu’on répète qu’on est bon ».

Cette affirmation est confirmée par les travaux du psychologue Anders Ericsson. Ce dernier a étudié les habitudes des grands athlètes, comme Mickael Jordan, et en tire trois enseignements. Tout d’abord, tous répètent les mêmes gestes, des milliers de fois, pour maîtriser leur discipline ou leur art. Sur ce sujet, le neuroscientifique Daniel Levitin a popularisé la règle des 10 000 heures : « Toutes disciplines confondues, on peut conclure que 10 000 heures de pratique sont nécessaires pour atteindre un niveau de maîtrise de classe mondiale ». Il base cette règle sur le fait que plus des actions identiques sont répétées, plus certaines connexions neuronales se consolident, rendant la maîtrise de l’exercice aisée.

Deuxièmement et dans le même temps, les meilleurs athlètes se fixent des objectifs toujours plus difficiles à atteindre pour continuer à progresser. Enfin, à chaque étape de leur apprentissage, ils prennent en considération les remarques, positives ou négatives, de personnes extérieures. Ils se confrontent à la critique.

 

La méthode des plus grands orateurs

Ces bonnes pratiques sont exactement celles des meilleurs orateurs. Winston Churchill travaillait ainsi des heures sur ses discours, comme le rappelle d’ailleurs sa petite-fille, Celia Sandys, dans son ouvrage We shall not fail : « L’art [de prendre la parole] semble simple mais il demande beaucoup de travail. Les répétitions sont essentielles, surtout si vous voulez que votre discours paraisse naturel ». De la même façon, Martin Luther King raturait ses notes jusque très tard dans la nuit avec l’aide de plusieurs collaborateurs.

Dans le monde de l’entreprise, l’exemple canonique demeure encore et toujours celui de Steve Jobs, le fondateur d’Apple. En 2006, Mike Evangelist, alors directeur des produits vidéo d’Apple, confiait à la presse que Steve Jobs répétait des jours entiers avant ses prises de parole les plus importantes. Dans un récent ouvrage, Ken Kocienda, ancien ingénieur chez Apple, revient sur les processus créatifs qui ont fait le succès de la firme américaine et montre comment Steve Jobs devenait tous les jours un meilleur orateur.

 

Anticiper !

La première de ses habitudes était de s’y prendre le plus tôt possible, dès qu’il avait une partie des messages et idées à partager. Il passait aussi des heures à préparer ses supports visuels. Très épurés, avec peu de textes et souvent une simple image, leur préparation demandait beaucoup de travail pour savoir quel message ils véhiculaient. Enfin, il préparait « dans les conditions du réel ». Sa posture, sa voix, ses gestes et bien sûr ses mots étaient répétés comme le jour j, en demandant toujours les retours de ses équipes.

 

Aujourd’hui, notamment en entreprise, les répétitions sont encore trop souvent négligées, la préparation réalisée pas assez en amont. Certes, certains apprendront toujours plus vite que d’autres, mais il est certain que le temps passé à s’entraîner à prendre la parole en public est positivement corrélé au succès de l’intervention. Tout orateur qui souhaite marquer les esprits et être à l’aise à l’oral doit ainsi répéter, régulièrement et de nombreuses heures... c’est sans doute la principale clé du succès !  

 
Adrien Rivierre