Tous polyglottes avec la réalité virtuelle !
Cet article est paru sur Usbek & Rica, le 3 janvier 2018.
Qui ne rêve pas d’être Nelson Monfort, un polyglotte qui n’éprouve aucune difficulté à converser dans plusieurs langues étrangères différentes ? C’est que l’apprentissage des langues demeure encore pour des millions de français une souffrance plus qu’une partie de plaisir. Si les nouvelles technologies ont tenté de le faciliter, notamment avec des méthodes ludiques, la réalité virtuelle laisse aujourd’hui espérer des méthodes d’ « apprentissage expérientiel » plus efficaces et interactives.
Petit retour en enfance. Rappelez-vous vos cours d’anglais au collège. Qu’est-ce qui vous vient spontanément à l’esprit ? A coup sûr, la fameuse liste des verbes irréguliers… et avec elle un fort sentiment de répulsion ! Oui, il faut bien l’avouer, les souvenirs des cours de langue ne sont pas forcément les meilleurs. Derrière eux, ce qui se cache c’est un enseignement, bien connu en France, qui fait la part belle à la théorie (apprendre les verbes irréguliers par cœur) plutôt qu’à la pratique (les apprendre au fil des conversations et des interactions).
Conséquence ? Selon le baromètre EPI, publié tous les ans par l’organisme spécialisé dans l’enseignement des langues EF Education First, qui mesure les compétences en anglais, la France se classe seulement à la 32ème place sur 80 pays… 22ème sur 27 pays européens ! Ces mauvais résultats seraient en partie dû à un enseignement de l’anglais, dans le primaire et le secondaire, qui repose avant tout sur l’écrit, l’analyse de textes littéraires ou l’étude de la grammaire et non sur une capacité d’interagir lors d’une conversation informelle par exemple.
La réalité virtuelle pour changer la donne
Or depuis plusieurs décennies maintenant, les travaux de recherche ont prouvé que nous apprenons et retenons plus facilement (et plus longtemps) des informations quand nous faisons quelque chose, autrement dit, quand nous mettons des connaissances en application.
La VR permet une immersion totale de l’utilisateur dans des contextes différents
L’écoute d’un professeur assis dans une salle de classe est moins efficace qu’une discussion entre pairs, qu’importe le niveau maîtrisé. Et c’est pourquoi les pays nordiques, qui arrivent tous en tête du classement EPI, se concentrent bien d’avantage sur la pratique orale de la langue en mettant très tôt leurs élèves en situation d’échanger et d’interagir.
Si aucune réforme de l’enseignement ne semble pour l’instant aller dans ce sens, la réalité virtuelle (VR) pourrait bien changer la donne. Au-delà du caractère ludique des sites Internet et applications développées sur les téléphones portables (Duolingo, Babbel, Mondly…), la VR permet en effet une immersion totale de l’utilisateur dans des contextes différents et potentiellement infinis. L’apprenant peut ainsi échanger avec un locuteur natif « dans des conditions réelles ». Ce dernier est en réalité un agent conversationnel (un « chatbot ») qui se fonde sur l’intelligence artificielle (IA) afin qu’il puisse s’adapter à l’apprenant (niveau de difficulté, progression de la conversation…).
L’application MondlyVR, en mettant directement l’apprenant en situation, crée les conditions d’un apprentissage plus rapide et de meilleure qualité. La réalité virtuelle fait aussi tomber la barrière de la peur (et de la honte) souvent ressentie quand il s’agit de prendre la parole dans une langue étrangère. Face à un chatbot qui ne porte aucun jugement (à l’oral ou simplement par des mimiques), l’apprenant est ainsi plus enclin à se lancer même s’il fait des erreurs. Autre avantage, il peut répéter autant de fois qu’il le souhaite une phrase ou s’arrêter plusieurs minutes sur la prononciation d’un seul mot.
Comment mesurer le niveau des utilisateurs ?
Ces nouvelles méthodes d’apprentissage posent pourtant la question de la mesure du niveau d’acquisition atteint par les utilisateurs. Duolingo est certes utilisé dans de nombreuses salles de classe (en complément de l’enseignement obligatoire) et le site met en avant des études comme celle de la City University de New York pour vanter l’efficacité de sa solution. Mais quel niveau permet-elle réellement d’atteindre ? En Europe, l’échelle de référence est celle fixée par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues qui va de A1 (« utilisateur élémentaire ») à C2 (« utilisateur expérimenté »). Il est évident qu’aujourd’hui, les applications ne permettent d’atteindre que les premiers niveaux.
La VR a pour ambition d’aller plus loin en offrant à l’apprenant la possibilité de devenir bilingue. La taxonomie de Bloom, qui classe les différents niveaux d’acquisition des connaissances de la simple mémorisation à la possibilité de manipuler les concepts pour créer de nouveaux énoncés, se révèle un bon étalon pour évaluer la qualité des applications en réalité virtuelle qui seront développées.
La taxonomie de Bloom
Selon cette taxonomie, beaucoup d’applications aujourd’hui existantes se concentrent uniquement sur le premier niveau, c’est-à-dire celui de la mémoire : une image apparaît à l’écran et l’utilisateur doit retrouver le mot correspondant. Or apprendre une langue et être capable de s’exprimer en toute circonstance requiert de maîtriser le dernier niveau, celui de la « création » où l’apprenant est capable d’inventer de nouvelles phrases et de manipuler tous les concepts appris précédemment. En immersion totale, l’apprenant serait confronté à des locuteurs et situations différentes nécessitant la maîtrise du dernier niveau d’acquisition de la langue. Les institutions chargées de mesure le niveau de maîtrise des langues devront rapidement intégrer ces nouvelles méthodes d’apprentissage qui vont se démocratiser.
Comment passer du virtuel au réel ?
Alors est-ce à dire que demain les élèves viendront en classe d’anglais équipés de casques de réalité virtuelle pour interagir avec des chatbots ? Peut-être pas demain, mais après-demain car les applications ne reproduisent pas encore fidèlement les interactions humaines et manquent cruellement de fluidité. C’est ici la question du passage du monde virtuel à celui du réel qui est posée.
La salle de classe du futur ? CC FlickR
Converser avec un chatbot, même s’il se prénomme James ou Miranda, ne prépare pas encore à une interaction avec un véritable James ou une véritable Miranda. Ces derniers ne communiquent pas simplement avec leurs mots mais aussi par leurs gestes, leurs mimiques faciales, les modulations de leur voix, leurs réactions émotives à certains énoncés… Des progrès importants restent à réaliser pour « humaniser » les interactions même si peu à peu la différence entre l’homme et la machine se rétrécit. Il y a quelques jours, Google a par exemple dévoilé une voix artificielle quasiment impossible à distinguer de celle de l’homme.
Et si devenir Nelson Monfort ne se fera pas en un jour, même avec la réalité virtuelle, peut-être qu’avec le développement de solutions de traduction instantanées (comme Skype Translator), nous serons tous des Nelson Monfort sans même produire le moindre effort ! Sauf que dans ce cas-là, autre problème majeur, le plaisir d’apprendre une autre langue aura totalement disparu et avec lui la possibilité de faire travailler notre mémoire, de se confronter à d’autres cultures, de voir le monde autrement…