Notre-Dame : le discours de Macron à la loupe
Cet article est paru dans Les Echos, le 16 avril 2019.
Hier, quelques heures après le terrible déclenchement de l’incendie à la cathédrale Notre-Dame de Paris, Emmanuel Macron s’est brièvement exprimé pour faire part de sa douleur mais aussi porter un message d’espoir. Très ému, il a su trouver les mots pour s’adresser aux Français.
Dans un moment d’émotion et de sidération aussi fort, prendre la parole en public est toujours difficile tant les mots semblent impuissants face à la situation vécue. Toute proportion gardée car aucune vie n’a été ici perdue, le contexte de cette déclaration, en pleine nuit, à quelques pas du sinistre, rappelle les déclarations de François Hollande suite aux attentats du 13 novembre 2015 ou celle de Robert Kennedy en 1968, alors en pleine campagne présidentielle à Indianapolis, quand il apprend la mort de Martin Luther King. Souvent, ce sont ces mots-là qui marqueront nos esprits pour longtemps.
Ainsi, l’exercice est délicat car il faut peser chaque mot qui se drape d’une importance toute particulière. Et d’ailleurs, interrogés par les chaînes de télévision, les radios et les journalistes, tous les spectateurs du drame affirment « ne pas avoir de mots » pour exprimer la douleur qu’ils ressentent. Pourtant, en quelques minutes, le Président de la République doit lui briser le silence, rassurer les Français et se projeter vers l’avenir comme il l’avait fait suite à l’horrible décès d’Arnaud Beltrame.
Juste avant l’allocution, les Français attendent, une attente qui est aussi grande que le besoin d’en savoir plus et d’entendre explicitement que nous pourrons surmonter cette épreuve. C’est pourquoi, dans une telle déclaration, les premiers mots doivent aller à l’essentiel, ici Emmanuel Macron les dédie aux centaines de sapeurs-pompiers qui interviennent pour éteindre le feu. Et, détail important, il précise dans la première minute de son intervention que la « façade et les deux tours principales ne se sont pas effondrées ». Les premiers signes d’espoir sont déjà là.
Au début de ce discours, Emmanuel Macron apparaît fatigué et surtout, évidemment dans de telles circonstances, son visage est fermé. Il s’exprime lentement, avec des pauses et silences très marqués entre les mots et les phrases. Poser ainsi sa voix permet très rapidement de rassurer et de montrer une maîtrise de la situation. Quand tout le monde s’agite et commente, celui qui parle peu et calmement récupère l’attention. Il se tient droit et fait très peu de gestes ce qui renvoie une image de stabilité et de maîtrise.
Ce caractère solennel se retrouve dans l’utilisation de l’anaphore « Je veux avoir une pensée », ce que les orateurs grecs appelaient la « gravitas ». Les mots prennent ainsi une importance et un poids plus fort, ils touchent au cœur. Cet effet est encore renforcé par une gradation puisqu’Emmanuel Macron pense d’abord aux catholiques, puis aux parisiennes et parisiens et enfin à l’ensemble des compatriotes. Ainsi, l’orateur prend soin, et le fait très bien, de montrer que ce drame touche tout le monde et plus encore, dernière étape de la gradation, notre histoire elle-même tant la cathédrale fut à l’origine de romans, d’œuvres d’art, de créations de notre imaginaire. A ce moment précis, le visage de l’orateur s’ouvre un peu plus et le haut du corps s’anime comme pour faire prendre conscience de la place unique de ce lieu. Emmanuel Macron affirme alors : « c’est l’épicentre de notre vie ».
Mais le rôle du chef de l’Etat est aussi et surtout de se projeter vers l’avenir. Il est le garant de l’espoir qui doit nous animer maintenant. L’émotion est alors palpable puisque sa voix se noue et ses yeux s’humidifient pour déclarer : « cette cathédrale nous la rebâtirons, tous ensemble ». Mais pour que ces mots ne soient pas prononcés en vain, il réalise un très bon appel à l’action : « dès demain, une souscription nationale sera lancée ». L’orateur indique ainsi que chacun des Français pourra participer à reconstruire Notre-Dame de Paris, tout le monde est impliqué.
Il faut également noter que si tout au long de la déclaration le pronom personnel « je » est privilégié, à la fin de l’allocution, lors d’une conclusion qui se veut unificatrice, Emmanuel Macron emploie plus volontiers le « nous ». Et, toujours avec beaucoup de solennité, il développer un très beau rythme ternaire qui donne de la force aux mots : « Nous rebâtirons Notre-Dame parce que c’est ce que les Français attendent (1), parce que c’est ce que notre histoire mérite (2), parce que c’est notre destin profond (3). » Comme François Hollande qui lors des heures les plus sombres de son mandat savait toucher par ses mots, Macron a su rendre hommage à la grandeur de ce patrimoine et sa volonté collective de reconstruction.