Lire, écrire, compter… parler !

Les orateurs et oratrices de talent jouissent-ils d’un pouvoir magique ? Ont-ils été touchés par la grâce divine ? Quel sort jettent-ils à leurs audiences pour les captiver et transmettre leurs idées avec tant de conviction ? Quel secret jalousement gardé leur permette de conjurer le stress ? Ces questions ne sont pas si farfelues quand on observe la mystique et la peur qui entourent souvent la prise de parole en public… surtout en France où, dans nos écoles comme dans nos entreprises, la domination de l’écrit sur l’oral est sans partage. Pourtant, nous devons prendre la parole au quotidien : pour raconter une histoire en famille, pour débattre entre amis, pour réaliser un discours lors d’un mariage, pour défendre ses idées, pour négocier son salaire, pour convaincre un recruteur, pour présenter son nouveau projet, pour séduire son conjoint…

Le problème c’est que la rhétorique, l’art de bien parler, n’est plus enseignée à l’école depuis 1902. Depuis cette réforme de l’Education nationale, c’est donc le règne de l’inné qui triomphe, et par conséquent, le règne des inégalités face à la parole qui s’impose. Certains naissent excellent orateur quand d’autres souffrent à la simple idée de s’exprimer à l’oral. Certains fascinent et inspirent quand d’autres ennuient. Cette situation, bien ancrée dans notre culture et nos a priori, n’est pourtant pas une fatalité. La prise de parole en public doit être enseignée, dès le plus jeune âge, au même titre que l’écriture, la lecture et le calcul ! La réforme du baccalauréat avec l’introduction d’un « grand oral » ainsi que les déclarations sur un apprentissage plus riche du langage dès l’école maternelle vont dans le bon sens. 

Mais il faut aller plus loin en donnant la possibilité à chacun de connaître et maîtriser les techniques pour organiser et défendre ses idées logiquement, pour susciter l’émotion, pour incarner son propos, pour partager ses convictions avec clarté… C’est le seul moyen de s’assurer que la prise de parole en public n’accentue pas les inégalités scolaires et sociales. Il s’agit d’un enjeu de société majeur car la parole a le pouvoir de changer le cours des choses. A l’échelle individuelle, une simple idée, bien formulée, peut provoquer un déclic à l’origine d’un changement de carrière, voire de vie. A l’échelle collective, aucun grand accomplissement de l’histoire ne s’est réalisé sans la diffusion d’une vision fédératrice par la parole. Pensons aux grands discours de la Révolution française, au I have a dream de Martin Luther King, à l’intervention de Simone Veil à l’Assemblée nationale pour autoriser l’IVG ou à l’intervention fédératrice de Barack Obama à la Convention des démocrates en 2004. Un rapide coup d’œil sur notre histoire montre ainsi à quel point ceux qui maîtrisent la parole publique dirigent le monde !

Mais cette parole inspirante, captivante et engagée ne doit pas être réservée à quelques orateurs d’exception. Elle ne peut pas l’être. Nous avons tous des choses à dire, des histoires uniques à raconter, des expériences personnelles à partager, des opinions et convictions à faire connaître. A la suite des grecs de l’Antiquité qui faisaient de la parole la reine de tous les arts, il faut qu’une culture de la parole émerge à nouveau. Face aux fake news, aux faits alternatifs, aux propos discriminants, aux tentatives de manipulation politiques, la parole est le moyen de faire entendre sa voix, de lutter contre les préjugés, de convaincre ses interlocuteurs. Prendre la parole, quel que soit l’âge, le métier exercé ou la situation sociale occupée, c’est participer à la transformation du monde.

Et pourtant, trop souvent, la perspective de se lancer dans le débat, d’affronter le regard des autres et de partager ses convictions tétanise et décourage. Dans ces conditions, pas étonnant que prise de parole en public rime avec stress et angoisses… or, rien d’épanouissant et de jouissif ne se construit sur la peur. C’est pourquoi l’apprentissage de la parole publique doit être ludique. Mieux que cela, elle doit être une source d’épanouissement et d’inspiration. Pour cela, il faut bien sûr apprendre et maîtriser les techniques et méthodes pour s’exprimer à l’oral avec aisance mais aussi et surtout trouver les idées qui nous animent pour avoir envie de les partager et ainsi les incarner avec son style et sa personnalité. La parole est l’affaire de tous, elle est libératrice quand elle nous ressemble, elle est le moyen le plus efficace de marquer les esprits tout en prenant du plaisir. Savoir lire, écrire, compter... parler !

 
Adrien Rivierre