Emmanuel Macron, l’orateur antifragile ?
Cet article est paru dans Les Echos, le 22 janvier 2019.
Plus que jamais avec la crise des gilets jaunes, Emmanuel Macron fait face à une féroce contestation, de tous les instants et sans précédent. Pourtant, ce choc est sans doute ce qui pouvait lui arriver de mieux. Emmanuel Macron serait-il un orateur antifragile ?
Ils étaient 600. Le 15 janvier 2019, 600 maires venus de toute la Normandie se réunissaient à Grand-Bourgtheroulde dans l'Eure, pour débattre avec le Président de la République. Ils ne firent pas le déplacement pour rien puisque l’échange dura près de 7 heures ! Rebelote, le 18 janvier, cette fois-ci à Souillac, devant 600 maires occitans. Les deux fois, Emmanuel Macron, pourtant malmené sur tous les fronts depuis des mois, ressortait plus fort de ce moment. Il fut convaincant, fin rhéteur, infatigable et intarissable. Serait-il un orateur « antifragile » ?
Mais quel est ce néologisme ? Son inventeur est l’ancien trader devenu philosophe des sciences du hasard, Nassim Nicholas Taleb. Dans un essai paru en 2013 aux éditions Les Belles Lettres, il expose sa théorie selon laquelle « Certains objets tirent profit des chocs ; ils prospèrent et se développent quand ils sont exposés à la volatilité, au hasard, au désordre et au stress, et ils aiment l’aventure, le risque et l’incertitude. »
Taleb décompose ainsi le monde qui nous entoure en trois catégories : fragile, robuste et antifragile. La première regroupe tous les éléments qui craignent les événements inattendus ; au moindre choc ils se brisent. Un orateur fragile est un orateur qui se contenterait de suivre à la lettre ses éléments de langage. A la moindre question inattendue, et c’est la sortie de route. Taleb affirme que les éléments fragiles sont larges. Mais la taille ne fait pas illusion longtemps, c’est même précisément là que réside leur faiblesse. Combien d’hommes et de femmes politiques pensent qu’accumuler des pages et des pages d’éléments de langage suffira pour convaincre ? L’exemple le plus éloquent de ces dernières années reste la descente aux enfers de Marine Le Pen lors du débat du second tour de l’élection présidentielle.
Les éléments robustes sont ceux qui sont indifférents aux événements inattendus. Taleb rappelle ici que l’inverse de la fragilité n’est pas la robustesse. Suite à un choc, un élément robuste ne change pas d’un iota, il ne devient ni plus faible ni plus fort. Tel le Phénix, il renaît de ses cendres, point. Or, pour Macron, comme pour tous politiques, il est impossible que face aux chocs rien ne se passe. La résilience en politique est une pure hérésie, cela reviendrait à épouser le statu quo.
Enfin, les éléments antifragiles sont ceux qui tirent profit des événements inattendus. Etre antifragile, c’est se renforcer après un choc ou un stress. L’antifragile est telle l’hydre de Lerne de la mythologie grecque. Si une tête de ce monstre est coupée, deux repoussent immédiatement. Plus l’hydre reçoit des coups, plus elle devient forte. De façon contre-intuitive, le désordre devient une situation source de prospérité car permettant de rester sur ses gardes et de se renforcer aux contacts des velléités extérieures, un moyen de développer des anticorps.
Ainsi, quand Emmanuel Macron prend la parole pendant près de 7 heures d’affilées face à 600 maires, et qu’il ressort plus fort de cet échange, il est antifragile. L’adversité sert son projet et met en valeur ses idées.
Etre un orateur antifragile requiert une très grande agilité intellectuelle et une incroyable capacité d’adaptation aux situations comme aux audiences. Ce n’est pas nouveau chez Emmanuel Macron. Peu le savent mais avant sa campagne présidentielle, son premier meeting politique était un meeting privé de questions-réponses citoyennes organisé à Bercy accessible à tous, en s'inscrivant par Internet, où il avait crevé l’écran et convaincu toute l’audience.
Taleb précise que si les choses fragiles nécessitent une protection extérieure pour les préserver des attaques, les choses antifragiles disposent en elles-mêmes des ressources pour se défendre. L’antifragilté de Macron est une force intérieure inébranlable. Ainsi, malgré les chocs répétés, il intègre les erreurs au fur et à mesure qu’il les commet. Au fur et à mesure des critiques, il s’en détache, apprend à vivre avec et endosse le manteau du bouc-émissaire sans rechigner. Pour prospérer et toujours s’améliorer au fil du temps, le phénomène antifragile a ainsi besoin de désordre. Plus le chaos règne, plus il prospère…
Macron l’antifragile, c’est avant tout un Macron qui aime profondément la confrontation et le débat contradictoire. C’est à la fois une conception de la démocratie et une excellente compétence de débatteur qui se jouent ici. La maxime du Président de la république pourrait ainsi être, en reprenant les mots de Nietzsche, dans le Crépuscule des idoles (1888) : « Ce qui ne me tue pas me fortifie ». Reste à savoir s’il va parvenir à conserver cette caractéristique face à l’onde de choc des « gilets jaunes »…