École : pourquoi il faut enseigner la prise de parole en public
En 2021, les élèves présentant le baccalauréat devront passer un « grand oral ». Idem à Sciences Po où l’épreuve écrite est remplacée par un oral. L’instauration de ces épreuves est une excellente nouvelle… à condition qu’elle s’accompagne d’un enseignement à la prise de parole tout au long de la scolarité.
Les récentes annoncent mettent à l’honneur la prise de parole en public dans les nouveaux critères d’évaluation des étudiants. La réforme Blanquer prévoit ainsi un « grand oral » pour tous les élèves passant le Baccalauréat dès 2021.
Frédéric Mion, le directeur de Sciences Po, a également décidé de supprimer l’épreuve écrite au concours d’entrée de la prestigieuse école pour la même année. A priori, rien d’étonnant à de telles décisions puisque la prise de parole en public permet d’évaluer de nombreuses compétences essentielles : structuration et clarté d’un propos, capacité d’argumentation et de persuasion, aisance et qualités d’interactions avec le jury…
Ces réformes visent en partie à lutter contre les biais socio-culturels que les épreuves écrites révèleraient et s’inscrit dans une volonté de mieux connaître chaque chaque candidat, son parcours et ses motivations. Ces oraux sont ainsi présentés comme le moyen de réduire les inégalités au sein du supérieur et in fine dans le monde professionnel.
Mais, ils parviendront-ils réellement ? La réponse est oui… mais soumise à une condition non négligeable, celle d’associer toutes ces épreuves à un enseignement régulier de la prise de parole en public, et cela dès le plus jeune âge.
Car comme le rappelle le sociologue Pierre Merle, suite à l’annonce de Frédéric Mion, aucune donnée scientifique ne prouve qu’une épreuve orale serait moins discriminante ou biaisée qu’une épreuve écrite.
Nul lien de causalité existe. Qu’importe le moyen de communication choisi, les différences relatives à la richesse du vocabulaire maîtrisé ou à la complexité des phrases construites demeurent entre les élèves. Et c’est sans compter sur l’ethos, c’est-à-dire l’image renvoyé par l’orateur. En effet, l’attitude, les gestes ou encore les intonations de la voix disent beaucoup de nos origines sociales et de l’environnement dans lequel nous avons grandi (Bourdieu appelait cela l’hexis corporelle).
Devenir un bon orateur s’apprend.
La solution est claire et connue. Pour lutter contre ces effets socio-culturels, forgés tout au long de la socialisation, et ainsi éradiquer les inégalités qu’ils induisent, un enseignement de la prise de parole en public est nécessaire. C’est le rôle que doit jouer l’école, comme à l’époque de la Grèce antique.
Dans son Manuel de rhétorique, Pierre Chiron met ainsi en lumière toute l’éducation à la parole que les grecs avait instaurée. Cette dernière était adaptée selon les âges et en fonction du niveau de chaque élève qui pratiquait cette discipline quotidiennement
Mieux encore, l’auteur montre comment ces méthodes théoriques, mises en situation et exercices étaient la condition sine qua non pour faire des élèves de véritables citoyens avertis et engagés. Aujourd’hui, l’Education nationale ne prévoit pas de cours dédiés à préparer le « grand oral » du Bac ou les concours d’entrée aux grandes écoles ou universités comme Sciences Po. C’est une erreur.
Ne pas prévoir d’enseignement, sur le long terme, risque de favoriser à la fois les plus aisés, qui pourront toujours se payer le luxe de suivre une préparation spécifique, et ceux qui jouissent déjà, de par leurs origines et milieu social, d’une aisance oratoire.
Devenir un bon orateur s’apprend. Il faut des cours dans toutes les écoles, dès les classes du primaire. C’est le seul moyen d’avoir des collaborateurs dans les organisations qui pourront réussir leurs entretiens de recrutement, diriger des équipes de travail, négocier leur salaire, présenter clairement leurs idées.
Et en démocratie, la prise de parole en public permet de développer son esprit critique, ses capacités à réfuter des arguments contradictoires et ainsi participer à un effort d’intelligence collective dont la France a bien besoin.