Comment parler aux extraterrestres ?

Cet article est paru sur Usbek & Rica, le 7 juin 2017.

Un matin en apparence comme les autres, vous vous réveillez tranquillement. Comme à votre habitude, vous consultez votre fil d’actualité Twitter. Et là, vous apprenez que l’homme a découvert la première espèce extraterrestre. Elle vit sur une exoplanète. C'est officiel, nous ne sommes plus les seuls dans l’univers ! L’heure est alors venue de communiquer avec eux, de leur parler. Sont-ils hostiles ou bienveillants ? Sont-ils effrayés ou heureux ? Quelles sont leurs intentions ? Disposent-ils d’une intelligence supérieure à la nôtre ? Nous comprennent-ils ? Et si oui, comment s’en assurer ? Il faut leur parler... mais comment ? Peut-être en s'inspirant de la façon dont communiquent les dauphins, répond Adrien Rivierre, lecteur et contributeur régulier d'Usbek & Rica.

Ce scénario d'une rencontre « physique » avec des extraterrestres, récemment mis en scène dans le film Premier Contact de Denis Villeneuve, est sorti du champ de la science-fiction depuis qu'on découvre des exoplanètes tous les mois ou presque, dont certaines abriteraient de l’eau, ce qui laisse envisager la possibilité d’une forme de vie extraterrestre. Mais certaines de ces planètes se situant à 39 années lumières de notre Terre, aucune rencontre imminente n’est à l’ordre du jour… à moins que, comme dans Premier Contact, ce soient plutôt les extraterrestres qui viennent à nous !

Tentative de comunication avec les extraterrestres, dans le film Premier Contact.

Dans un tel cas de figure se pose la question de savoir comment communiquer et interagir avec eux. Par où commencer ? Quelles méthodes utiliser ? Nos savoirs et technologies sont-ils assez avancés pour y parvenir ? 

Si la recherche a montré depuis longtemps que les végétaux, comme les animaux, communiquent entre eux, le langage de l’homme est plus élaboré car nous sommes capables de manier les symboles ; là où les animaux ne comprennent que des signaux dans un contexte précis. Autrement dit, contrairement à ces derniers, nous sommes capables de dissocier le signe de la réalité exprimée (je peux parler de New York sans jamais être allé à New York). Ainsi, l’homme peut imaginer avoir une maîtrise du monde par ses mots, quand les animaux sont limités à des comportements instinctifs et à l’automatisme.

Les dauphins marquent des silences, des pauses, pour laisser leurs congénères répondre, preuve qu’ils s’écoutent et dialoguent !

Mais il serait faux de penser que la façon dont communiquent les animaux n’a rien à nous apprendre. Dans le monde animal, les dauphins sont réputés pour être parmi les mammifères les plus intelligents et évolués sur Terre. La chercheuse Denise Herzing souligne ainsi que le rapport entre la taille de leur cerveau et de leur corps, indicateur scientifique d’intelligence, est le deuxième meilleur derrière… les humains. Les cétacés passent aussi le test dit « du miroir », qui prouve qu’ils ont conscience d’eux-mêmes (ils se reconnaissent en se voyant, comme les chimpanzés, les bonobos ou les corbeaux). Nous savons aussi qu’ils utilisent de nombreux sons pour interagir en groupe, chasser ou jouer à plusieurs. Mieux encore, les dauphins marquent des silences, des pauses, pour laisser leurs congénères répondre, preuve qu’ils s’écoutent et dialoguent ! Selon les chercheurs, ces quelques caractéristiques non exhaustives signifient que leur langage est proche de celui des êtres humains.

 La start-up suédoise Gavagai AB, qui a développé un logiciel basé sur l’intelligence artificielle capable d’analyser des millions de textes dans plus de 40 langues différentes, souhaite aujourd’hui l’enrichir en étudiant le langage des dauphins. En s’associant au KTH Royal Institute of Technology de Stockholm, elle espère décrypter leur communication d’ici quatre ans, en répertoriant tous les sons émis par les dauphins pour créer un véritable dictionnaire. Gavagai AB espère aussi découvrir des mécanismes que nous n’utilisons pas, comme la grande capacité des dauphins à se synchroniser grâce à l’émission de sons et la réalisation de gestes simultanés.

Quand nous entendons les sons émis par les dauphins, nous n’en entendons en réalité qu’une partie seulement, notre oreille n'étant pas assez développée.

Comme le montre le film de Denis Villeneuve, dans le cas d’une rencontre extra-terrestre, nous ne pourrions utiliser que les méthodes à notre disposition, c’est-à-dire celles appliquées, par exemple, lors de la découverte des tribus d’Amazonie. En théorie, décrypter un langage extraterrestre ne devrait pas faire appel à des méthodes radicalement différentes, mais plus elles auront été testées sur des êtres vivants variés, plus elles seront robustes.

En l’absence d’espèces extraterrestres à étudier, ce sont les animaux qui servent aujourd’hui de cobayes pour faire progresser la recherche. La communication des dauphins offre à ce titre des perspectives enthousiasmantes. Ces cétacés utilisent un spectre sonore bien plus aigu que celui de l’Homme. Quand nous entendons les sons émis par les dauphins, nous n’en entendons en réalité qu’une partie seulement, notre oreille n'étant pas assez développée. 

Denise Herzing en train d'essayer de communiquer avec des dauphins dans les eaux des Bahamas

Les équipes de Denise Herzing et de l’Université de Georgia Tech avaient déjà mis au point des interfaces de communication bilatérales pour permettre aux humains de dialoguer avec les dauphins. Grâce à l’intelligence artificielle, les travaux exploratoires de la start-up Gavagai AB auront pour objectif de repousser les limites de nos connaissances sur le langage. Ce qui laisse ainsi espérer l’élaboration de logiciels sophistiqués pour réaliser des tâches plus complexes.

S’il est aujourd’hui trop tôt pour déterminer quelles seront leurs applications concrètes, les découvertes pourront par exemple servir à la marine américaine. Cette dernière étudie déjà les animaux marins depuis plusieurs décennies, et notamment les dauphins qui les aident par exemple à détecter des mines sous-marines.

Une telle initiative exploratoire pourra en tout cas mener à des découvertes utiles pour développer de nouveaux outils et améliorer la compréhension de notre propre langage, de celui des animaux et, un jour, utiliser ces connaissances pour parler aux extraterrestres.

Illustration à la Une : ESO/A. Fitzsimmons

 
Adrien Rivierre